17 février 2010
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08:00
Bonjour à tous,
Ce matin retour sur un de mes achats du salon du livre jeunesse 2009 pour une petite chronique autour d'un beau projet mené par l'illustrateur Laurent Corvaisier et l'écrivain Didier Daeninckx.
Ces deux hommes ont choisi d'évoquer une figure emblématique de la résistance : Missak Manouchian.
Cet album est destiné aux enfants, mais relate joliment les grands moments de sa vie...
Nous suivons donc Missak enfant, dans son pays d'origine : l'Arménie. Nous découvrons son amour des mots, de la littérature et son besoin de liberté. En tournant la page, le contraste est immédiat, Missak et en prison. Il attend la mort.
C'est sur ce va-et-vient entre passé et présent que s'articule cet album, le tout renforcé par un habile jeu sur les couleurs. Les couleurs chaudes et vives pour le passé, des couleurs froides, le noir et le blanc pour le quotidien de la cellule, et le rouge, en référence à la célèbre affiche.
Je n'en dirais pas plus concernant l'histoire, car tourner les pages de cette album est une belle découverte visuelle. Les "moins jeunes" (oui, nous) sauront retrouver certaines métaphores et apprécieront les différents niveaux de lecture. Petit plus, j'ai vraiment apprécié de trouver un petit feuillet complémentaire à la fin de l'album, feuillet riche en images et en photographies...
Bref, un titre que je vous conseille vivement...
Pour aller plus loin...
En ce qui me concerne, j'ai découvert cet homme lors d'un stage pendant ma préparation au CAPES ( découverte tardive, je vous l'accorde... ) Le professeur que j'observais avait fait lire à sa classe de troisième un de ces textes qui une fois lu ne vous quitte plus. Un de ces textes qui vous bouleverse par sa beauté.. Il s'agissait de la Lettre de Manouchian à Mélinée, texte ô combien sublime, écrit quelques heures avant son exécution. Allez, je ne peux pas résister à l'envie de le partager avec vous...
« Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense.
Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.
Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M. »
Aujourd'hui , je suis à la place du professeur et j'ai envie de transmettre à mes élèves cette petite partie de l'histoire, de leur parler de ces hommes qui ont dit non, qui ont résisté pour un pays qu'ils aimaient. [Notamment à une époque où certains osent débattre vainement de ce qu"être français" signifie.]
Pour les plus curieux d'entre vous, je conseille vivement le film de Robert Guédiguian L'Armée du crime qui retrace la vie du groupe Manouchian jusqu'à sa chute. Un film haletant, touchant qui rend un bel hommage à ces hommes morts pour la France.
Virginie Ledoyen incarne Mélinée, et Simon Abkarian, (que j'avais eu l'occasion de voir au théâtre dans Une bête sur la Lune) entre dans la peau de Missak avec un talent indéniable. Parmi les membres de "L'armée du crime", vous pourrez également retrouver le charmant Robinson Stevenin... (Rien que pour ça, ça vaut le détour... ;) )
Pour compléter mon article, un texte d'Aragon, inspiré de la lettre à Mélinée...
Ce matin retour sur un de mes achats du salon du livre jeunesse 2009 pour une petite chronique autour d'un beau projet mené par l'illustrateur Laurent Corvaisier et l'écrivain Didier Daeninckx.
Ces deux hommes ont choisi d'évoquer une figure emblématique de la résistance : Missak Manouchian.
Cet album est destiné aux enfants, mais relate joliment les grands moments de sa vie...
Nous suivons donc Missak enfant, dans son pays d'origine : l'Arménie. Nous découvrons son amour des mots, de la littérature et son besoin de liberté. En tournant la page, le contraste est immédiat, Missak et en prison. Il attend la mort.
C'est sur ce va-et-vient entre passé et présent que s'articule cet album, le tout renforcé par un habile jeu sur les couleurs. Les couleurs chaudes et vives pour le passé, des couleurs froides, le noir et le blanc pour le quotidien de la cellule, et le rouge, en référence à la célèbre affiche.
Je n'en dirais pas plus concernant l'histoire, car tourner les pages de cette album est une belle découverte visuelle. Les "moins jeunes" (oui, nous) sauront retrouver certaines métaphores et apprécieront les différents niveaux de lecture. Petit plus, j'ai vraiment apprécié de trouver un petit feuillet complémentaire à la fin de l'album, feuillet riche en images et en photographies...
Bref, un titre que je vous conseille vivement...
Pour aller plus loin...
En ce qui me concerne, j'ai découvert cet homme lors d'un stage pendant ma préparation au CAPES ( découverte tardive, je vous l'accorde... ) Le professeur que j'observais avait fait lire à sa classe de troisième un de ces textes qui une fois lu ne vous quitte plus. Un de ces textes qui vous bouleverse par sa beauté.. Il s'agissait de la Lettre de Manouchian à Mélinée, texte ô combien sublime, écrit quelques heures avant son exécution. Allez, je ne peux pas résister à l'envie de le partager avec vous...
« Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense.
Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.
Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M. »
Aujourd'hui , je suis à la place du professeur et j'ai envie de transmettre à mes élèves cette petite partie de l'histoire, de leur parler de ces hommes qui ont dit non, qui ont résisté pour un pays qu'ils aimaient. [Notamment à une époque où certains osent débattre vainement de ce qu"être français" signifie.]
Pour les plus curieux d'entre vous, je conseille vivement le film de Robert Guédiguian L'Armée du crime qui retrace la vie du groupe Manouchian jusqu'à sa chute. Un film haletant, touchant qui rend un bel hommage à ces hommes morts pour la France.
Virginie Ledoyen incarne Mélinée, et Simon Abkarian, (que j'avais eu l'occasion de voir au théâtre dans Une bête sur la Lune) entre dans la peau de Missak avec un talent indéniable. Parmi les membres de "L'armée du crime", vous pourrez également retrouver le charmant Robinson Stevenin... (Rien que pour ça, ça vaut le détour... ;) )
Pour compléter mon article, un texte d'Aragon, inspiré de la lettre à Mélinée...
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant
Louis ARAGON
Strophes pour se souvenir
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant
Louis ARAGON
Strophes pour se souvenir
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