Tout doucement je comble mon retard et vous propose ainsi le cinquième volet de la fresque zolienne : La Faute de l'abbé Mouret. Cette lecture était prévue au mois de mai et à l'heure où les participants doivent achever L'Assommoir je commence tout juste à entrouvrir Son Excellence Eugène Rougon... Je pense que la période estivale va me permettre de rattraper le retard pris en cette fin d'année scolaire.
La Faute de l'Abbé Mouret était un des Zola qui suscitait le plus d'attente de ma part. (Aux côtés de Nana, Au bonheur des dames et La Joie de Vivre ) Non seulement parce que certains lecteurs en avance sur le défi m'en avait soufflé quelques passages sublimes, mais aussi parce qu'il faisait partie des titres qui revenaient le plus souvent dans la liste des coups de coeur zoliens.
Le récit commence. Serge est sorti du séminaire et a pris Désirée sous son aile puisqu'ils sont orphelins depuis la mort de Marthe et François. Le voilà maintenant un jeune abbé de vingt-six ans qui officie dans un petit village de Provence. Les premiers chapitres dépeignent avec la rigueur naturaliste chaque rituel propre au quotidien du prêtre. Zola donne le ton et laisse place à son regard exhaustif sur l'univers clérical. Tout semble bien rôdé, calculé au moindre geste. Mais déjà, en quelques lignes et le temps d'entrer dans l'oeuvre, la passion dévorante fait son oeuvre. Chaque geste de Serge est déjà lourd de sensualité et "transpire" l'érotisme. Et quelle remarque faussement naïve Zola fait-il prononcer à la Teule qui s'exclame : "Il en remonterait pour la sainteté à un homme de soixante ans; mais il n'a point vécu, il ne sait rien, il n'a pas de peine à être sage comme un chérubin, ce mignon-là. " En effet, toute la première partie est construite de façon à mettre en valeur un homme droit, profondément animé par la passion de la religion. Les longs passages descriptifs, qui peuvent décourager plus d'un lecteur, servent le besoin de montrer à quel point Serge est un homme qui ne vit que pour son engagement envers Dieu. (Il était déjà présenté ainsi dans La Conquête de Plassans, devenant le protégé de Faujas, le faux dévot manipulateur.) Belle manière de faire exister un personnage à la piété exemplaire pour mieux détruire tout ce qui le constituait dans les premières pages du roman une fois la deuxième partie commencée... Sans trahir un grand secret, Serge va bien évidemment céder au péché de chair. Il croisera le chemin de la jeune Albine, rencontre qui bouleversera sa vie et son rapport au monde. Dans un décor semblable au jardin d'Eden biblique, la nature joue un rôle prépondérant dans l'éveil des sens: Albine et Serge sont les nouveaux Adam et Eve. C'est au coeur de ce havre de paix végétal que nos deux personnages vont se découvrir. L'univers naturel avait déjà été choisi par Zola dans La Curée, mais il prend une plus grande ampleur dans La Faute, passant de l'atmosphère sensuelle de la serre à l'explosion des sens dans ce jardin du Paradou. Portés par les parfums qui donnent le vertige, par les paysages envoûtants, par les sensations grisantes, Albine et Serge vont s'aimer et Serge va "devenir homme". Il renaît dans ce jardin de toutes les tentations, fuyant les conventions morales qu'exige son statut de prêtre. Zola nous le dit clairement "C'est le jardin qui avait voulu la faute". Cette nouvelle liberté acquise par l'intermédiaire d'Albine l'anime et le "réveille" de l'anesthésie du séminaire et le rend bien plus humain que ce pantin d'église décrit par Zola dans les premiers chapitres. Mais conformément au récit biblique, nos deux amants ne seront pas épargnés et l'heure de la chute arrivera vite.
" Ne vois-tu pas que nous sommes nus ?
Il eut honte à son tour, il ceignit les feuillages sur ses vêtements défaits"
Le diabolique Père Archangias (Ici, faisons parler l'onomastique, étant donné que les archanges sont dans la hiérachie céleste, les seuls à pouvoir agir sans la permission divine, cela justifie aisément le caractère tyrannique du personnage...) fera tout ce qui est en son pouvoir pour que Serge retrouve la voie de la sagesse et revienne à "ses premières amours."
La fin de la deuxième partie est d'une intensité incroyable. Une véritable lutte d'influences entre le plaisir charnel et le devoir clérical. Tout l'acharnement à vouloir contenir cette passion dévorante sera vain puisqu'elle ne ressurgira que plus intensément et de manière ô combien dramatique... Et que dire d'un des derniers échanges entre Serge et Albine qui tente par tous les moyens de le convaincre de rester auprès d'elle lorsque l'immonde Archangias lui ordonne de quitter le jardin. Quand Albine se livre entièrement, elle n'obtient que le silence de Serge, qui semblent paralysé.
" Albine, glissée à terre, les mains follement tendues vers son amour qui s'en allait, se releva, la gorge brisée de sanglots. Elle s'enfuit, elle disparut au milieu des arbres, dont elle battait les troncs de ses cheveux dénouées."
En définitive, une lecture qui m'a parfois semblé un peu longue et statique. Mais je pense qu'il faut impérativement dépasser la remarque facile du "il y a trop de descriptions, ça m'ennuie, on s'y perd, c'est inutile..." afin de mieux savourer toute l'intensité de l'oeuvre, qui prend toute son ampleur en fin de seconde partie. Un grand Zola. Indéniablement.
Et pour achever cet article, ces mots... A mes yeux le plus beau passage du roman...
"Je t'aime parce que tu es venue. Cela dit tout... Maintenant nous sommes ensemble, nous nous aimons. Il me semble que je ne vivrais plus, si je ne t'aimais pas. Tu es mon souffle. (...) On ne sait pas cela tout de suite. Ca pousse en vous avec votre coeur. Il faut grandir, il faut être fort... Tu te souviens comme nous nous aimions ! Mais nous ne le disions pas. On est enfant, on est bête. Puis, un beau jour, cela devient trop clair, cela vous échappe... Va, nous n'avons pas d'autre affaire; nous nous aimons parce que c'est notre vie de nous aimer."
Les autres articles des courageux participants au défi Zola :
Stephie et ses Mille et une pages.
Pimprenelle et ses petits carnets.
Gautier du blog "Brouillard charnel"
L'article d'Hors Temps Scolaire
L'article de Kalistina