Eh bien je me suis accrochée. Et je me suis pris le texte de Sartre en pleine figure. Encore une fois, la magie a opéré et m'a convaincue. Dans une contrée imaginaire, le monde prépare l'après-guerre et les alliances s'installe aux tables des négociations. Nous sommes en 1945. Hugo, jeune militant rejetant ses origines bourgoises s'est engagé dans le parti d'Illyrie. Au moment où le rideau s'ouvre, il est de retour chez Olga, sa complice de l'époque après avoir passé un certain temps en prison. Accusé de trahison par les gens du parti, Olga veut savoir si Hugo a toujours sa place parmi eux. Elle a jusque minuit pour savoir ce qui s'est réellement passé lors de la dernière mission d'Hugo qui devait tuer Hoederer, chef des communistes.
Dès cet instant, nous repartons en 1943 et suivons Hugo dans sa mission. Il est parvenu à devenir l'homme de confiance d'Hoederer. Au fil de la pièce, Hugo se lie d'amitié avec cet homme talentueux et charismatique. Leurs divergences politiques donneront lieu à de magnifiques débats, sans pour autant tomber d'accord l'un et l'autre. Puis arrive le jour où Hugo doit mener à bien son projet et passer de l'ami à l'assassin. Un pas lourd à franchir.
Cette pièce pose la question du choix - chose peu étonnante chez Sartre - et des idéaux que l'on est amené un jour à compromettre ou non. Le personnage d'Hugo est touchant dans sa volonté de se démarquer d'une "classe" qu'il exècre mais dont il est nécessairement imprégné. C'est un intellectuel et il n'est pas incongru d'opérer certains rapprochements avec Sartre lui-même. De l'autre côté Hoederer a su m'interpeller tant dans sa personnalité que dans son charisme. Renoncement, engagement, aliénation, place de la liberté. Tous les thèmes chers à Sartre sont bien là et résonnent encore aujourd'hui.
Pour avoir eu la chance de voir jouer cette pièce, j'avoue que j'ai apprécié voir tous ces êtres de papier prendre vie sur scène. Ici, la mise en scène sert vraiment l'oeuvre de Sartre et la sublime. Bref, une soirée mémorable et un beau moment de littérature.
Inutile de dire que le temps qui me manquait pour achever l'oeuvre a vite été trouvé.
" Hoederer: Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars ! Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien, reste pur ! À quoi cela servirait-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c'est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j'ai les mains sales. Jusqu'aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. »
Double coup de coeur pour cette oeuvre, j'en profite pour déclarer officielle et ouverte ma participation au défi proposé par MarieL.
"Le théâtre est toujours peuplé de boîtes à secrets.
Dans Les Mains Sales , il y a la poche d’un veston d’homme et, dans cette poche, une toute petite clé.
La clé ouvre la serrure d’une valise de cuir où dorment douze photos.
Sur les photos, un enfant à différents âges de sa vie.
L’enfant des photos est un homme aujourd’hui : l’homme du veston.
Et le secret de l’homme, ce sont les photos de son enfance.
Mais juste à côté des photos, au fond de la valise, l’homme a rangé un pistolet. L’arme est l’autre secret de l’homme : il veut être un assassin et personne ne le sait encore, personne ne peut le croire encore.
Au milieu de l’innocence, il y a le mensonge, comme au milieu du plaisir il y a la peur, ou bien l’amour au milieu de la guerre.
Dans le théâtre de Sartre, les mains sales cachent une âme pure, l’innocence dissimule la folie meurtrière et l’humanisme sert d’alibi à la compromission.
Autant de secrets soigneusement rangés au fond de beaucoup de petites valises de cuir, dont les clés reposent peut-être au secret de nos poches de vestons."
Guy Pierre Couleau