Cette lecture est un vrai cadeau, dans tous les sens que cela sous-entend. Offert par ma divine Stéphanie avant mon départ pour le Brésil, ce livre a vite fait partie de mes coups de coeur estivaux.
« J’avais envie de pleurer. Je le suivais. J’étais malheureuse à désirer mourir. […] Alors, elle aperçut Thomas : une jeune femme lui avait pris les mains sous la lanterne allumée, devant l’entrée de la maison. […] La jeune femme se haussa sur la pointe des pieds. Elle tendit ses lèvres vers ses lèvres. »
Derrière le laurier, Ann observe défaite, l’homme avec qui elle partage sa vie depuis quinze ans en charmante compagnie... Cette scène est l’occasion d’une double rencontre : une première, lointaine, furtive avec la maîtresse de Thomas, une seconde, plus troublante, avec Georges, cet ancien camarade de classe qui la surprend littéralement bouleversée par cette scène qui sera le point de départ d’un changement de vie on ne peut plus radical.
« Tu es Anne. Plus précisément : tu es celle qui ne voulait pas qu’on l’appelle Eliane. Alors Ann Hidden le regarda. Elle hocha la tête, elle était consternée. Les larmes montèrent à ses yeux sans qu’elle l’eût voulu. »
Cette trahison fait d'Ann un véritable fantôme. Nombreuses sont d'ailleurs les occurences qui mentionnent cette transparence, cette impression de flottement et de ne plus "être". Georges va rapidement devenir son confident et va, sans jamais lui poser « trop » de questions lui être totalement dévoué pour mener à bien son projet. En effet, Ann va se débarrasser de tout ce qui la lie à son passé. Très vite, elle met en vente sa maison, ses biens et envisage de partir sans laisser de traces à qui que ce soit, excepté à Georges. Toutefois, la fuite est-elle la meilleure des solutions pour fuir ce qui nous hante ? C'est aussi la question que pose l'oeuvre de Quignard, laissant à chacun le soin de trouver sa réponse au fil de s pages.
Le personnage d'Ann Hidden cristallise ici un fantasme presque "cliché" qui peut naître en chacun de nous : partir, tout quitter sans jamais plus donner de nouvelles. Suicide social, professionnel, tout laisser pour retrouver un autre mode de vie, un rapport aux autres différents, mais pas nécessairement meilleur... Nous la suivons ainsi dans ses hésitations, ses préparatifs puis ses voyages. De plus, Ann Hidden est musicienne, compositeur-pianiste plus exactement. C'est cette part d'elle qui je crois va demeurer dans son "passage d'une vie à l'autre". Elle aura beau vendre ses magnifiques pianos et se débarrasser de certaines partitions la musique la suivra, comme seul lien avec son passé. J'avoue que tout l'univers musical qui parcourt l'oeuvre n'a fait qu'entretenir mon plaisir de lecture. En refermant Villa Amalia, si plein de questions nous traversent l'esprit concernant nos rapports aux autres, interrogent notre besoin de mettre de côté "les mémoires douloureuses", il naît aussi une envie inexplicable de s'asseoir derrière un piano, de laisser ses doigts caresser le grand clavier ou d'écouter des morceaux des heures entières. Bref, un instant de lecture savoureux, tout en douceur et délicatesse.
Quant au film de Benoît Jacquot, j'aurais peut-être préféré ne jamais le regarder. Quel manque de rythme et de saveur ! Je déplore les passages amputés à l'oeuvre de Quignard sans lesquels le départ d'Ann et sa fuite ne prennent pas la dimension qui leur est offerte dans la version papier. Si Isabelle Huppert incarne Ann Hidden avec un certain talent, je n'ai pas toujours retrouvé le plaisir que j'ai eu à suivre cette héroïne... Son compagnon, Thomas, interprété laborieusement par Xavier Beauvois, perd également de sa finesse. Sa souffrance n'est pas assez mise en avant et il ne reste de lui qu'un rustre, bourru un peu pathétique... Enfin, certains passages, plus fidèles, sont un bel hommage aux paysages racontés dans le livre, mais je regrette sincèrement les choix d'adaptations de l'oeuvre.
Je ne saurais trop vous dire de lire et de savourer les pages de Quignard, mais vous invite à ne pas perdre une heure et demie de votre temps en regardant le film. Sauf si l'insomnie vous guette. Soporiphique à souhait, il sera plus efficace qu'un quart de somnifère.
Cette lecture s'inscrit donc dans le challenge musical d'Anne pour lequel j'apporte ma petite contribution dans la rubrique livres et film.